mercredi 25 novembre 2009

Récit pour adolescent

Je suis terrifiée de m'avancer sur la scène. Dans quelques instants, le numéro qui me précède va se terminer et ça va être mon tour. Moi, une simple jeune fille de 15 ans, abandonnée à une foule vorace de 614 personnes, environ. Moi, qui rougit de honte quand le professeur me pose une question devant vingt-cinq autres élèves. Moi, qui déteste parler en public. Et bien cette même moi s'est inscrite à Secondaire en spectacle, a réussi les auditions et doit maintenant performer devant un public immense. En tout cas, bien plus immense que dans le pire de mes cauchemars. Sauf que dans mes cauchemars, je suis toute nue. J'ai pas pris de chance. Ce soir, le col roulé et le pantalon ont pris le dessus sur la camisole et la jupe.

Les lumières s'éteignent. Le public applaudit, siffle, crie. J'ai même pas remarqué c'était quoi. Une chose est sûre, ce n'était pas Simon. Non, lui, il passe deux numéros après moi. Et pas de danger qu'il soit mort de trouille, ça fait 5 ans qu'il le fait, Secondaire en spectacles, et à chaque année, il gagne tout ce qu'il peut gagner et finit aux finales nationales.

Maudit Simon. Si c'était pas de lui, jamais je m'aurais inscrite. Mais non. Je perds la tête, quand il s'agit des gars. Et après, je me rends compte que c'est des cons. Mais juste après.

« Et maintenant... »

Ça y est. Dans une seconde, l'annonceur va me présenter, sa voix va être multipliée par dix dans les hauts-parleurs et toute la foule aura, jusqu'à ce que je commence à chanter, mon nom qui leur résonnera dans les oreilles. Mérédith Leblanc-Webber. C'est tout sauf mélodieux. Un nom de famille composé, avec un W dedans. Webber. On croirait entendre une grenouille. Et Simon, lui, qui doit attendre dans la loge des participants, va faire son snob et écoutera à peu près pas ce que je vais faire. Il ne me félicitera pas après. Et s'il me parle, ça va être pour me faire des commentaires négatifs sur à peu près tout ce qui est possible d'être négatif.

«... dans la catégorie interprétation... »

C'est beaucoup trop long. Cessez de me présenter aussi longuement et jetez-moi sur scène. Au moins, si j'ai à me casser la figure, je le ferai avec classe, en trébuchant sur un fil de micro et en me cassant la gueule sur le banc de piano. Pas en faisant une fausse note ou en perdant la voix. Ou pire, en vomissant sur scène.

«... avec une chanson d'Isabelle Boulay...»

À quoi j'ai pensé? Isabelle Boulay. J'aurais jamais dû écouter ma mère. Elle a vraiment des goûts musicaux épouvantables. Je la revois me chanter l'air du refrain « Je suis un saaaaule inconsolableuh, le plus désemparééé des aaarbres. Ben voyons! Mémé, tu connais sûrement ça! Ça passe toujours à la radio, quand je vais te porter à tes cours de piano. Ou très souvent. Tu la chanterais tellement bien, je suis sûre qu'ils te prendront si tu leur fais.» Et Maman a eu raison. Ils m'ont pris. Mais c'est sûr que c'était pour se marrer un bon coup pendant le spectacle. Ou pire, pour faire paraître Simon beaucoup mieux que moi. Il est pas trop tard, je peux m'en aller.
Après tout, ils n'ont pas encore dit...

« ...voici Mérédith Leblanc-Webber!»

Ben oui. Ils ont dit mon nom. Il est trop tard pour reculer. Je marche vers le piano qui est au centre de la scène. Bon Dieu qu'elle est grande. J'avais jamais remarqué avant aujourd'hui. Bon. Pas de chance, les fils de micro sont bien en dehors de ma portée, je peux pas m'esquiver en feignant une commotion cérébrale. Le rideau s'ouvre. Lentement. Et les gros spot lights m'éblouissent complètement. Je suis aveugle. Ça y est. C'est là que je vais me casser la gueule. Je vais trébucher sur le banc de piano et ça va être ma honte la plus totale, celle que j'imagine depuis les 3 dernières semaines, voire les 3 derniers mois. Bon, d'accord. Je ne suis pas totalement aveugle. Je vois encore le banc de piano, juste assez pour que je puisse m'y installer sans faire tout un fracas. J'installe mes mains sur le piano. Mon Dieu. Je tremble comme c'est pas possible. Et je crois bien avoir oublié ce que je dois jouer.

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Dans le fond, quand j'y pense, toute cette histoire n'aurait pas eu lieu si Simon Laverdière n'avait pas été aussi beau, aussi drôle et aussi proche de mon casier. Parce que je ne l'aurais peut-être jamais remarqué. Et que je n'aurais sans doute pas été portée à m'inscrire à Secondaire en spectacle pour avoir une chance de le connaître. Parce qu'il était impossible pour moi de le connaître sans passer par le concours de talents. Mais je vais commencer par le début, vous comprendrez sans doute un peu mieux.

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