Produits de consommation, produits consommés, produits consommateurs. On parle on parle on parle, plus y'a de mots, moins y'a de signifié. On est journal, actualités d'un monde, d'une ville. Sherbrooke, Trois-Rivière, Québec, Montréal. Paf. Rue Frontenac, lock-outée. Et on s'étouffe avec son papier. Taché de pub.
On est actualités, Internet. Cyberpresse sur iMac, Canoë sur PC, blogosphère d'insanités. On se gave on se gave on se gave, on garde pour soi, on étale sur sa tranche de pain, sa culture pop atteinte d'élitisme. Et on se sent bien, fin. On méprise les américanisés, ces colonisés, ces têtes carrées. L'oubli du miroir/écran, une réalité.
On est actualités, télévisions. Devant notre Téléjournal puritain, sur l'écran catholique, on est cathodiques, fluorescents. Bombardements de Grammys, et d'Oscars, Poule Spéciale Gala, Occupation double, triple, quadruple dans nos têtes de société. On digère le tout, écran Peptobismol. C'est vrai, ça passe à la télé. Mais ça peut pas m'arriver. C'est dans télé.
Quelqu'un parle pour dire, dit pour parler, regarde la caméra, sourire Botox/grave/faux faux faux. Quelqu'un regarde, s'étouffe avec son Michelina/Stouffers/repas trop surgelé. Ou avec son téléviseur/journal/PC/Mac. Quelqu'un s'insurge, part en croisade, réclame des têtes.
Est-ce toi, Lola?
On est société, monétaire. On doit notre cul, on se casse le cul, on vend notre cul, on raffermit notre cul, dans nos yeux, que notre cul. Je\me\moi, culte du cul. On veut le voir en manchettes, en première page, notre cul. Société du cul 2.0, sur Youtube, Facebook et tout le restant du web.
Ce soir, en vedette, notre cul.
Quelqu'un réussit. Quelqu'un (multiplié par millions) non.
On veut écrire, chanter, dire. Réprimer, étouffer détruire.
On se croit élite et cultivé. Mais moi, toi, lui, nous sommes.
Produits de consommations, produits consommés, produits consommateurs.
jeudi 26 février 2009
mercredi 25 février 2009
L'arc-en-ciel
Il faut que j'éclate. Que j'éclate ce sanglot. Ce furoncle.
Mon espace bitumineux. Berceau de mon désert de mots.
Espace vide et lumière accrue. Métaphysique à l'agonie. Pataphysique dans mes doigts.
Dans ta direction, une artère, un vaisseau. J'embarque, je suis le flux.
Un rire délié aux lacets dédicacés.
Mais qui es-tu, dans ton arc-en-ciel?
Un maximum de souvenirs s'amassent, se frottent, se coagulent.
Tissus spongieux d'histoires d'un drôle de passé. Tu cherches, tu cherches, tu cherches.
Amalgame de déception. Un miroir sans tain au sourire d'acier. Un désir au coeur qui crie.
J'suis quoi, moi?
Mon espace bitumineux. Berceau de mon désert de mots.
Espace vide et lumière accrue. Métaphysique à l'agonie. Pataphysique dans mes doigts.
Dans ta direction, une artère, un vaisseau. J'embarque, je suis le flux.
Un rire délié aux lacets dédicacés.
Mais qui es-tu, dans ton arc-en-ciel?
Un maximum de souvenirs s'amassent, se frottent, se coagulent.
Tissus spongieux d'histoires d'un drôle de passé. Tu cherches, tu cherches, tu cherches.
Amalgame de déception. Un miroir sans tain au sourire d'acier. Un désir au coeur qui crie.
J'suis quoi, moi?
Libellés :
Poésie
Deux jours
Deux jours. Ça fait deux jours qu'il pleut. Sans cesse, comme si le ciel expulsait son trop plein de tristesse refoulée. Ça me fait tellement chier, ça même pas de bon sens. Je suis assise, à regarder par la fenêtre, une fois, de temps à autres, en espérant te voir arriver. Mais c'est con, parce que tu ne reviendras pas. T'es parti, comme ça, sans rien me dire avant. Pas parce que t'en avais envie. Pas parce que j'étais méchante. Parce que t'es mort.
Deux jours complets à écouter du Simon & Garfunkel, parce que tu aimais ça, surtout quand il fait comme aujourd'hui. Triste, et mouillé. Et que cette musique-là faisait que les journées tristes et mouillées devenaient différentes. T'as jamais su me dire pourquoi. Mais j'ai jamais cherché à savoir non plus. C'était des souvenirs de jeunesse, pour moi. Mon père qui mettait ça dans le tourne-disque. Et qui faisait danser ma mère.
«And here's to you, Mrs. Robinson, Jesus loves you more than you will know...»
Tu ne me faisais pas danser. Et tu l'avais en CD. Moi, je souriais quand tu l'écoutais, et je regardais dehors. C'était comme aujourd'hui. De la pluie, des nuages. Mais tu chantais, ces jours-là. Aujourd'hui, c'est Simon et Garfunkel en duo. Et moi qui les écoute. Ça fait deux jours que je suis assise, à regarder le temps passer et à appuyer sur Play quand le CD arrête. J'ai essayé de mettre autre chose. Impossible. La température exige du Simon et Garfunkel. Tu l'exiges. Je l'exige, aussi. Demain, ta famille va arriver ici. Ta mère va m'obliger d'arrêter le lecteur CD, ton père va la seconder. Ton frère va être indifférent face à cette décision et ta soeur ne saura que pleurer. Sans arrêt. Et quand elle arrêtera de pleurer, elle geindra que la musique est trop triste. Et on ne me laissera pas le choix. Même si je suis chez moi.
Elle me fait chier ta famille. Presqu'autant que la pluie. Presqu'autant que le haut-parleur qui commence à faire de drôles de petits craquements. Presqu'autant que ta mort.
Ça fait deux jours que je me demande si je ne devrais pas ouvrir la télévision. Mais j'ai peur de le faire. On pourrait parler de toi. Et entendre parler de toi, ça me virerait à l'envers. Y a que moi qui puisse faire ça en ce moment. Je ne réponds plus au téléphone. La dernière fois, c'était ta mère qui me disait qui s'amenait avec le restant de la famille proche. Demain. Les oncles et tantes vont débarquer après-demain.
Deux jours que je suis trop faible pour m'occuper de tes funérailles. Deux jours que j'entends résonner les pleurs de ta soeur à l'autre bout du fil. Deux jours à me dire que j'aurais dû t'empêcher de partir. Deux jours complets à me culpabiliser. C'est ma faute.
«Ask me and I will play, all the love that I hold inside.»
Je me lève. J'appuie sur Play et le lecteur cinq disques recommence à jouer. La routine s'est installée. Je connais l'ordre dans lequel les morceaux vont jouer. You can tell the world, Last night I had the strangest dream, Bleecker street...
Deux jours que je ne me lève que pour l'essentiel. Toilettes, et nourriture. Et je retrouve mon divan bien trop grand pour moi toute seule. Toujours trop grand. Comme le salon, la maison et tout ce qui m'entoure. Deux jours à apprendre l'immensité du vide, tout en replaçant une de mes mèches, brunes et grasses. Deux jours à penser à tout ce que je peux penser. Le cas du couple divorcé, de l'enfant maltraité et de la mère alcoolique qui a emboutie avec sa voiture la garderie de son fils.
Le téléphone sonne. Une fois. Deux fois. Trois fois. Peut-être ta mère. Ou le bureau. Ou ma soeur. Il cesse de sonner. Je suis rendue au deuxième CD sur cinq. Je l'aime bien celui-là. Y a des mots qui me font penser à toi sur celui-ci.
«I know it's not right to leave you when morning is just a few hours away.»
T'es parti, comme ça. Tu t'es levé, à quatre heures trente, comme d'habitude, et tu es parti. Pour ne pas revenir. Quand le téléphone a sonné, à sept heures, et que j'ai vu sur l'afficheur Gouv-Govt, j'ai su qu'il y avait un problème.
Le téléphone sonne une fois. Deux fois. Trois fois. Plein de fois. Il ne s'arrête pas. Je m'étire, juste un peu, et j'atteins le combiné du sans-fil.
-Allô?
-Bonjour, Madame! Je m'appelle Sarah Bergeron. Je vous appelle pour savoir si vous étiez intéressée à recevoir le Journal de Québec à votre domicile?
Je ne réponds pas.
-Madame?
J'hurle. J'hurle, comme c'est pas permis. Je souhaite lui défoncer le tympan avec mes cordes vocales. Je ne suis plus une femme, je suis une sirène, un klaxon. Et je finis par un sanglot. Je n'entends plus rien au téléphone. La tonalité revient. Et je pleure.
Deux jours que je n'avais pas pleuré. Et je suis intarissable. Je suis comme ta soeur, une vraie fontaine d'émotions. J'entends à peine Simon et Garfunkel. Je dois bien être rendue au quatrième CD. Je me tais, juste un peu, et j'entends : « Preserve your memories, they're all that's left you.» Et je pleure encore.
Le cinquième CD se termine. Au lieu d'appuyer sur Play, je quitte le salon. Je monte au deuxième étage. Deux jours que je ne suis pas montée. Je suis devant la porte de notre chambre. Ma chambre. Deux jours que je n'y suis pas entrée. Je pousse la porte et regarde le noir. Les rideaux sont tirés, opaques. La peinture bourgogne et rouge pâle réussit quand même à pointer dans la pénombre. Notre lit est là, exactement comme je l'ai laissé. Les draps défaits, les oreillers frippés. J'allume la lumière et m'avance vers le garde-robe. Du bois de Colombie, en strates, tout autour de moi. Des lattes rouges et bourgognes qui m'enserrent comme une forêt. En-dedans de la penderie, notre boîte à souvenirs. Entre quelques paires de souliers de cuir, une vieille boîte de carton, anciennement pour du papier d'imprimante, renfermant des photos.
Deux jours que je m'empêche de l'ouvrir. D'accepter son existence. Que je la renie en écoutant ta musique. Et là, elle est ouverte, sur le lit, le couvercle traînant par terre, et moi, couchée à plat ventre, appuyée sur les coudes. La couette sous moi, comme pour me protéger du confort du matelas, je pige des photos au hasard.
Moi, en bikini, en Floride. Toi, en train de peinturer le salon. Toi, en train de parler au téléphone. Moi, en train de lire. Toi, qui pointe un troupeau de boeufs. Qui regarde au loin, le soleil couchant du Grand lac St-François en arrière-plan. Mon coeur qui s'excite, qui se tord. Moi, qui jette la photo par terre. Qui pleure, qui se tord dans la couette, dans son molleton. Qui prend la lampe de chevet et l'arrache de sa prise pour la fracasser sur la porte de la penderie. Qui renverse la boîte à souvenirs en criant, en rageant. Qui s'écroule, acculée au mur, perdue entre les photos d'un autre temps et le vide de ma chambre.
Moi, qui pleure comme une petite fille. Qui demande pourquoi, sans attendre de réponse. Parce que personne peut me la fournir. Sauf toi.
Le téléphone sonne. Il y a un sans-fil dans la chambre. Je le vois, sur le bureau. Il sonne. Encore et encore et encore... Il résonne dans ma tête, avec la musique de Simon et Garfunkel et les pleurs de ta soeur. C'est le silence. Et ça me donne mal au coeur. Je vomis tout ce que je n'ai pas pu pleuré. Par terre, entre les photos dispersées. Tout autour de la flaque, je te vois, souriant, ou mystérieux. Je suis là aussi. Avec de la famille, seule, habillée, des fois pas.
Je me traîne jusqu'au rez-de-chaussée. Il pleut encore. Il pleut toujours. Je pense à ta mère qui va débarquer avec son escadron et qui va s'imposer plus que jamais. Comme si c'était ma faute. Comme si je m'étais arrangée pour que tu partes. Comme si...
Le téléphone sonne. Je l'écoute me fendre le crâne. Dans la cuisine, je suis face à lui. L'afficheur m'indique Jacque Carole. Ta mère qui m'appelle. Un effort de plus, je réponds. Ta mère, qui me demande si j'ai été contactée par les familles des victimes. Je ne réponds pas. Je me terre dans le mutisme. Ta mère insiste. Elle hausse le ton. Et je suis face à la vérité. T'étais pas ce que je croyais. Et je perçois le ton accusateur de ta mère. Ses reproches déguisées. Comme si c'était moi qui t'avais poussé à partir ce matin. À entrer dans un restaurant 24 heures. Et à tirer sur tout le monde. Avant de retourner l'arme.
Deux jours à me demander pourquoi t'as fait ça. À te chercher dans ta musique, et dans le salon trop grand, sur le divan trop grand. À refuser l'existence de nos photos, de notre chambre, de ce coup de téléphone qui m'a virée à l'envers. À écouter la pluie tomber sur East Broughton, campagne monotone en périphérie de Thetford Mines.
Je raccroche, sans rien dire. Je regarde le téléphone. D'une minute à l'autre, il va sonner. Et, par un bref moment de folie, je crois, je l'arrache du mur, je le jette au centre de la cuisine. Sans crier. Parce que j'ai personne à intimider. Sauf moi. Et que je ne me fais pas peur.
La pluie a cessé. Les nuages sont encore là. Je n'ai pas appuyé sur Play. Simon et Garfunkel commencent à me peser sur l'âme. Je regarde l'écran noir de ma télévision. Noir, mais les reflets de lumière viennent s'y imprimer. Un carré gris-clair, avec ma tête découpée. Je prends la télécommande et je l'ouvre. À RDI, ils ne parlent pas de toi. C'est la crise économique, c'est l'Obamania, c'est tout. Je le mets à LCN, et j'attends.
«Des nouvelles sur le policier qui a ouvert le feu sur cinq personnes dans la ville de Thetford Mines, il y a deux jours...»
Je n'entends plus rien, sauf le bourdonnement de la présentatrice. Et je comprends que personne n'avait vu venir le coup. Que les journalistes ont tenté de rejoindre la femme du gars, mais qu'elle ne répondait pas au téléphone. Qu'elle ne répondait pas à la sonnette. Qu'on pouvait la voir, par la fenêtre, mais qu'elle ne bougeait pas, et ne faisait attention à personne. Je me vois, à la télévision. Mon dos de tête, à travers le temps gris. Je retourne un peu la tête, comme pour jeter un coup d'oeil, mais je ne vois pas les caméras.
Deux jours que je dois passer pour la veuve éplorée aux yeux du Québec entier. Deux jours qu'on doit dire que je vais m'enfermer dans la folie. Que mon suicide est imminent. Presqu'attendu. C'est qu'une question de temps avant que tes anciens collègues débarquent pour voir si je suis toujours en vie. En état de vivre.
Sur Musimax, on passe The boxer, de Simon et Garfunkel. Je ferme la télé, il ne pleut plus. Je suis encore dans le vide. Je ne pense plus, l'instant d'une seconde. Je regarde tes vieux disques. Je mets celui de Jethro Tull dans le lecteur, déposant celui de Simon et Garfunkel par terre. J'appuie sur Play, et j'écoute. Encore.
«And the love that I feel is so far away, I'm a bad dream that I just had today...»
Et la pluie reprend.
Deux jours. Ça fait deux jours qu'il pleut. Deux jours que je suis assise, à écouter de la musique. Ta musique. Et à regarder dehors, espérant ton retour. Mais c'est con, parce que tu ne reviendras pas. Jamais. T'es parti, comme ça, sans rien dire à personne. Et t'as emmené cinq inconnus avec toi. Pas parce que t'étais méchant. Parce que tu devais avoir peur de partir seul.
Deux jours que je me demande pourquoi tu ne m'as pas laissé de lettre. D'explications. Deux jours que je ne comprends pas ta folie, et ça empire la mienne. Deux jours à me demander ce qu'il va arriver, si la musique s'arrête.
Deux jours.
Deux jours complets à écouter du Simon & Garfunkel, parce que tu aimais ça, surtout quand il fait comme aujourd'hui. Triste, et mouillé. Et que cette musique-là faisait que les journées tristes et mouillées devenaient différentes. T'as jamais su me dire pourquoi. Mais j'ai jamais cherché à savoir non plus. C'était des souvenirs de jeunesse, pour moi. Mon père qui mettait ça dans le tourne-disque. Et qui faisait danser ma mère.
«And here's to you, Mrs. Robinson, Jesus loves you more than you will know...»
Tu ne me faisais pas danser. Et tu l'avais en CD. Moi, je souriais quand tu l'écoutais, et je regardais dehors. C'était comme aujourd'hui. De la pluie, des nuages. Mais tu chantais, ces jours-là. Aujourd'hui, c'est Simon et Garfunkel en duo. Et moi qui les écoute. Ça fait deux jours que je suis assise, à regarder le temps passer et à appuyer sur Play quand le CD arrête. J'ai essayé de mettre autre chose. Impossible. La température exige du Simon et Garfunkel. Tu l'exiges. Je l'exige, aussi. Demain, ta famille va arriver ici. Ta mère va m'obliger d'arrêter le lecteur CD, ton père va la seconder. Ton frère va être indifférent face à cette décision et ta soeur ne saura que pleurer. Sans arrêt. Et quand elle arrêtera de pleurer, elle geindra que la musique est trop triste. Et on ne me laissera pas le choix. Même si je suis chez moi.
Elle me fait chier ta famille. Presqu'autant que la pluie. Presqu'autant que le haut-parleur qui commence à faire de drôles de petits craquements. Presqu'autant que ta mort.
Ça fait deux jours que je me demande si je ne devrais pas ouvrir la télévision. Mais j'ai peur de le faire. On pourrait parler de toi. Et entendre parler de toi, ça me virerait à l'envers. Y a que moi qui puisse faire ça en ce moment. Je ne réponds plus au téléphone. La dernière fois, c'était ta mère qui me disait qui s'amenait avec le restant de la famille proche. Demain. Les oncles et tantes vont débarquer après-demain.
Deux jours que je suis trop faible pour m'occuper de tes funérailles. Deux jours que j'entends résonner les pleurs de ta soeur à l'autre bout du fil. Deux jours à me dire que j'aurais dû t'empêcher de partir. Deux jours complets à me culpabiliser. C'est ma faute.
«Ask me and I will play, all the love that I hold inside.»
Je me lève. J'appuie sur Play et le lecteur cinq disques recommence à jouer. La routine s'est installée. Je connais l'ordre dans lequel les morceaux vont jouer. You can tell the world, Last night I had the strangest dream, Bleecker street...
Deux jours que je ne me lève que pour l'essentiel. Toilettes, et nourriture. Et je retrouve mon divan bien trop grand pour moi toute seule. Toujours trop grand. Comme le salon, la maison et tout ce qui m'entoure. Deux jours à apprendre l'immensité du vide, tout en replaçant une de mes mèches, brunes et grasses. Deux jours à penser à tout ce que je peux penser. Le cas du couple divorcé, de l'enfant maltraité et de la mère alcoolique qui a emboutie avec sa voiture la garderie de son fils.
Le téléphone sonne. Une fois. Deux fois. Trois fois. Peut-être ta mère. Ou le bureau. Ou ma soeur. Il cesse de sonner. Je suis rendue au deuxième CD sur cinq. Je l'aime bien celui-là. Y a des mots qui me font penser à toi sur celui-ci.
«I know it's not right to leave you when morning is just a few hours away.»
T'es parti, comme ça. Tu t'es levé, à quatre heures trente, comme d'habitude, et tu es parti. Pour ne pas revenir. Quand le téléphone a sonné, à sept heures, et que j'ai vu sur l'afficheur Gouv-Govt, j'ai su qu'il y avait un problème.
Le téléphone sonne une fois. Deux fois. Trois fois. Plein de fois. Il ne s'arrête pas. Je m'étire, juste un peu, et j'atteins le combiné du sans-fil.
-Allô?
-Bonjour, Madame! Je m'appelle Sarah Bergeron. Je vous appelle pour savoir si vous étiez intéressée à recevoir le Journal de Québec à votre domicile?
Je ne réponds pas.
-Madame?
J'hurle. J'hurle, comme c'est pas permis. Je souhaite lui défoncer le tympan avec mes cordes vocales. Je ne suis plus une femme, je suis une sirène, un klaxon. Et je finis par un sanglot. Je n'entends plus rien au téléphone. La tonalité revient. Et je pleure.
Deux jours que je n'avais pas pleuré. Et je suis intarissable. Je suis comme ta soeur, une vraie fontaine d'émotions. J'entends à peine Simon et Garfunkel. Je dois bien être rendue au quatrième CD. Je me tais, juste un peu, et j'entends : « Preserve your memories, they're all that's left you.» Et je pleure encore.
Le cinquième CD se termine. Au lieu d'appuyer sur Play, je quitte le salon. Je monte au deuxième étage. Deux jours que je ne suis pas montée. Je suis devant la porte de notre chambre. Ma chambre. Deux jours que je n'y suis pas entrée. Je pousse la porte et regarde le noir. Les rideaux sont tirés, opaques. La peinture bourgogne et rouge pâle réussit quand même à pointer dans la pénombre. Notre lit est là, exactement comme je l'ai laissé. Les draps défaits, les oreillers frippés. J'allume la lumière et m'avance vers le garde-robe. Du bois de Colombie, en strates, tout autour de moi. Des lattes rouges et bourgognes qui m'enserrent comme une forêt. En-dedans de la penderie, notre boîte à souvenirs. Entre quelques paires de souliers de cuir, une vieille boîte de carton, anciennement pour du papier d'imprimante, renfermant des photos.
Deux jours que je m'empêche de l'ouvrir. D'accepter son existence. Que je la renie en écoutant ta musique. Et là, elle est ouverte, sur le lit, le couvercle traînant par terre, et moi, couchée à plat ventre, appuyée sur les coudes. La couette sous moi, comme pour me protéger du confort du matelas, je pige des photos au hasard.
Moi, en bikini, en Floride. Toi, en train de peinturer le salon. Toi, en train de parler au téléphone. Moi, en train de lire. Toi, qui pointe un troupeau de boeufs. Qui regarde au loin, le soleil couchant du Grand lac St-François en arrière-plan. Mon coeur qui s'excite, qui se tord. Moi, qui jette la photo par terre. Qui pleure, qui se tord dans la couette, dans son molleton. Qui prend la lampe de chevet et l'arrache de sa prise pour la fracasser sur la porte de la penderie. Qui renverse la boîte à souvenirs en criant, en rageant. Qui s'écroule, acculée au mur, perdue entre les photos d'un autre temps et le vide de ma chambre.
Moi, qui pleure comme une petite fille. Qui demande pourquoi, sans attendre de réponse. Parce que personne peut me la fournir. Sauf toi.
Le téléphone sonne. Il y a un sans-fil dans la chambre. Je le vois, sur le bureau. Il sonne. Encore et encore et encore... Il résonne dans ma tête, avec la musique de Simon et Garfunkel et les pleurs de ta soeur. C'est le silence. Et ça me donne mal au coeur. Je vomis tout ce que je n'ai pas pu pleuré. Par terre, entre les photos dispersées. Tout autour de la flaque, je te vois, souriant, ou mystérieux. Je suis là aussi. Avec de la famille, seule, habillée, des fois pas.
Je me traîne jusqu'au rez-de-chaussée. Il pleut encore. Il pleut toujours. Je pense à ta mère qui va débarquer avec son escadron et qui va s'imposer plus que jamais. Comme si c'était ma faute. Comme si je m'étais arrangée pour que tu partes. Comme si...
Le téléphone sonne. Je l'écoute me fendre le crâne. Dans la cuisine, je suis face à lui. L'afficheur m'indique Jacque Carole. Ta mère qui m'appelle. Un effort de plus, je réponds. Ta mère, qui me demande si j'ai été contactée par les familles des victimes. Je ne réponds pas. Je me terre dans le mutisme. Ta mère insiste. Elle hausse le ton. Et je suis face à la vérité. T'étais pas ce que je croyais. Et je perçois le ton accusateur de ta mère. Ses reproches déguisées. Comme si c'était moi qui t'avais poussé à partir ce matin. À entrer dans un restaurant 24 heures. Et à tirer sur tout le monde. Avant de retourner l'arme.
Deux jours à me demander pourquoi t'as fait ça. À te chercher dans ta musique, et dans le salon trop grand, sur le divan trop grand. À refuser l'existence de nos photos, de notre chambre, de ce coup de téléphone qui m'a virée à l'envers. À écouter la pluie tomber sur East Broughton, campagne monotone en périphérie de Thetford Mines.
Je raccroche, sans rien dire. Je regarde le téléphone. D'une minute à l'autre, il va sonner. Et, par un bref moment de folie, je crois, je l'arrache du mur, je le jette au centre de la cuisine. Sans crier. Parce que j'ai personne à intimider. Sauf moi. Et que je ne me fais pas peur.
La pluie a cessé. Les nuages sont encore là. Je n'ai pas appuyé sur Play. Simon et Garfunkel commencent à me peser sur l'âme. Je regarde l'écran noir de ma télévision. Noir, mais les reflets de lumière viennent s'y imprimer. Un carré gris-clair, avec ma tête découpée. Je prends la télécommande et je l'ouvre. À RDI, ils ne parlent pas de toi. C'est la crise économique, c'est l'Obamania, c'est tout. Je le mets à LCN, et j'attends.
«Des nouvelles sur le policier qui a ouvert le feu sur cinq personnes dans la ville de Thetford Mines, il y a deux jours...»
Je n'entends plus rien, sauf le bourdonnement de la présentatrice. Et je comprends que personne n'avait vu venir le coup. Que les journalistes ont tenté de rejoindre la femme du gars, mais qu'elle ne répondait pas au téléphone. Qu'elle ne répondait pas à la sonnette. Qu'on pouvait la voir, par la fenêtre, mais qu'elle ne bougeait pas, et ne faisait attention à personne. Je me vois, à la télévision. Mon dos de tête, à travers le temps gris. Je retourne un peu la tête, comme pour jeter un coup d'oeil, mais je ne vois pas les caméras.
Deux jours que je dois passer pour la veuve éplorée aux yeux du Québec entier. Deux jours qu'on doit dire que je vais m'enfermer dans la folie. Que mon suicide est imminent. Presqu'attendu. C'est qu'une question de temps avant que tes anciens collègues débarquent pour voir si je suis toujours en vie. En état de vivre.
Sur Musimax, on passe The boxer, de Simon et Garfunkel. Je ferme la télé, il ne pleut plus. Je suis encore dans le vide. Je ne pense plus, l'instant d'une seconde. Je regarde tes vieux disques. Je mets celui de Jethro Tull dans le lecteur, déposant celui de Simon et Garfunkel par terre. J'appuie sur Play, et j'écoute. Encore.
«And the love that I feel is so far away, I'm a bad dream that I just had today...»
Et la pluie reprend.
Deux jours. Ça fait deux jours qu'il pleut. Deux jours que je suis assise, à écouter de la musique. Ta musique. Et à regarder dehors, espérant ton retour. Mais c'est con, parce que tu ne reviendras pas. Jamais. T'es parti, comme ça, sans rien dire à personne. Et t'as emmené cinq inconnus avec toi. Pas parce que t'étais méchant. Parce que tu devais avoir peur de partir seul.
Deux jours que je me demande pourquoi tu ne m'as pas laissé de lettre. D'explications. Deux jours que je ne comprends pas ta folie, et ça empire la mienne. Deux jours à me demander ce qu'il va arriver, si la musique s'arrête.
Deux jours.
Libellés :
Nouvelle littéraire
Je suis.
Je le suis. Je le suis. Je le suis.
J'avance, et je me demande. Je recule et je me tâtonne. Un chemin, une idée ou peu importe.
C'est drôle comme tout change vite, du coq à l'âne. Un coeur qui bat, qui bat, qui bat. Qui est.
Je suis. Je le suis. Je ne sais plus si je suis.
Identité cathodique. Modèle canonique de l'artiste échancré, échancré, échancré.
Je ne cherche pas à quoi je rime, ni à qui.
Je suis. Soi/moi/lui/nous/on.
Comme ça. Sans idée.
Préconçu. Stéréotypé.
Je regarde un ciel filer à toute vapeur, et une idée m'enlumine.
Je suis. Mais je ne veux.
Mais je peux et je le sais.
Je suis.
Je. Identité silencieuce.
J'avance, et je me demande. Je recule et je me tâtonne. Un chemin, une idée ou peu importe.
C'est drôle comme tout change vite, du coq à l'âne. Un coeur qui bat, qui bat, qui bat. Qui est.
Je suis. Je le suis. Je ne sais plus si je suis.
Identité cathodique. Modèle canonique de l'artiste échancré, échancré, échancré.
Je ne cherche pas à quoi je rime, ni à qui.
Je suis. Soi/moi/lui/nous/on.
Comme ça. Sans idée.
Préconçu. Stéréotypé.
Je regarde un ciel filer à toute vapeur, et une idée m'enlumine.
Je suis. Mais je ne veux.
Mais je peux et je le sais.
Je suis.
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