Il y eut, au tout début, le vide infini de l'univers. Puis, apparut un point d'eau, au centre. Ce point, au lieu de se geler dans le froid glacial s'agrandit pour devenir une gigantesque étendue qu'on appelait l'océan. À chacune de ces extrémités, l'eau se déversait dans l'espace et retournait dans la mer. C'était ce qu'on appelait le bout du monde, là où les choses disparaissaient pour de bon. Il y eut également une énorme montagne, en plein centre de l'océan. Un énorme rocher qui ne se déplaçait pas et qui trônait, à mi chemin entre toutes les fins du monde.
Finalement, toute l'eau qui se jetait dans l'univers pour revenir dans l'océan commença à geler, peu à peu. C'est ainsi qu'apparut le mur de glacier, barrière naturelle qui empêchait l'eau de se déverser indéfiniment. La mer se réchauffa, peu à peu, grâce au soleil et le mur de glace commença à perdre des morceaux de lui-même, qui partirent à la dérive pour finir leur course en s'écrasant sur le continent, ou alors complètement fondu par le soleil.
Un de ces gros icebergs avait décidé de se laisser flotter, sans trop se jeter vers le continent pour ne pas se briser sur les rochers. Il fondait, mais très lentement. Devant lui, il en avait encore pour quelques siècles à se laisser bercer par les vagues de l'océan. À travers sa solitude, le glacier avait accepté son funeste sort, comme tous les autres. Puis, un jour, il tomba amoureux d'un rayon de soleil. Ce dernier pénétra le glacier pour ne plus en ressortir. Les deux s'aimèrent ainsi pendant quelques décennies, insouciants des conséquences que pouvait provoquer la présence d'une larme de soleil à l'intérieur d'un être de glace.
Par un chaud crépuscule, le rayon quitta le glacier, considérant leur amour impossible. En s'échappant de son antre de glace, il perça un trou par lequel pleura l'iceberg. Sans le savoir, le trait de lumière laissa derrière lui une gerbe de soleil qui se replia sur elle-même, comme un oeuf.
L'orbe se développa, malgré la froideur qui avait envahi le coeur du glacier. Celui-ci avait entrepris une longue dérive, prêt à se jeter sur les récifs montagneux. Une nuit, alors que la montagne s'approchait dangereusement, une forte lumière jaillit du trou laissé par le rayon de soleil. L'orifice s'agrandit un peu plus, sous la chaleur intense. De cette blessure sortit une jeune fille à la chevelure de feu et à la peau de glace. Ses yeux brillaient comme le reflet du soleil sur l'eau gelée et les traits de son visage semblaient taillés dans le verre. Elle paraissait translucide sous la lueur de la lune.
Hélia, parce que c'était le nom que lui avait donné son père, s'assit au sommet de l'iceberg et regarda à l'horizon, vers le bout du monde. Sur son glaçon géant, elle voyait la mer s'étendre à perte de vue, sans fin possible. Les premiers mots qu'elle dit à son père furent : «Qu'il y a-t-il, au bout du monde?
- Le vide glacial.»
La fille de l'iceberg hocha la tête en signe de compréhension et continua de regarder le paysage désertique s'animer dans la noirceur de la nuit. Les mystères du Nord s'éloignaient peu à peu, à la vitesse de la dérive du glacier.
Ce qui devait arriver arriva. L'iceberg heurta la montagne de plein fouet et se brisa en milles parcelles. Hélia fut jetée sur la grève, entourée des morceaux épars de son père. Pour la première fois, les cristaux de ses yeux quittèrent l'infini horizon et se noyèrent de larmes. Les premières gouttes qui quittèrent ses yeux se transformèrent en petits diamants et se mêlèrent à la rocaille. Puis, ce furent des torrents d'eaux qui s'éparpillèrent et dans la mer et dans la montagne, créant lacs et rivières. Le rocher, surpris de cette intrusion, éleva sa voix, qui semblait émaner de toutes les pierres l'ayant formé.
«Qui ose troubler mon calme?
- La fille d'un iceberg au coeur brisé. Mon père s'est jeté sur la pierre, pour éteindre la douleur qui l'accablait.»
Surprise par cette douce voix, la montagne regarda, de toutes ses pierres, la fille du glacier. Sa beauté glaciale réchauffa le centre du rocher, qui en tomba amoureux. Il ouvrit une caverne et proposa à la jeune pleureuse de l'épouser.
«Je ne saurai jamais aimer, si je suis pour me briser en mille morceaux.
- Alors laisse-moi t'aimer et continue de rêver à la mer. Je te protègerai de la traîtrise du soleil, dans mes cavernes. Je m'abreuverai de tes larmes d'eau douce et je n'en serai que comblé.»
Hélia prit un des blocs de glace issus de son père et le plaça à côté de son coeur. Elle cessa d'avoir mal, autant gelée à l'intérieur qu'à l'extérieur. Elle accepta l'offre de la montagne et pénétra dans la caverne, pour se réfugier au centre de la terre.
Les siècles passèrent et l'amour du rocher pour la jeune fille ne faiblit jamais. De cette passion sans issue naquit les premiers hommes. Certains eurent la peau terreuse comme la montagne, d'autre furent plus nacrés, comme Hélia. Celle-ci ne voulait toutefois pas les voir, étant incapable de ressentir un attachement pour eux. Le glaçon qu'elle avait caché s'était soudé à son être et elle en était devenue incapable d'aimer quoi que ce soit.
Hélia sortait la nuit, lorsque les hommes dormaient. Elle gravissait la montagne pour se retrouver au plus haut sommet et elle regardait vers le bout du monde, comme lorsque son père était encore un glacier millénaire. Quand le soleil faisait son apparition, jetant ses premiers rayons sur l'eau, la fille de l'iceberg pleurait, formant à chaque fois des chutes d'eau sur la terre rocailleuse du rocher qui jamais ne cessait de l'aimer. Et elle retournait se cacher, avant même que les premières lueurs ne l'atteignent.
Puis, un jour, la montagne n'en put plus de voir son amour se tordre de tristesse à toutes les nuits.
«Que se cache-t-il, derrière l'horizon que tu fixes à toutes les nuits?
- Le bout du monde. Là où se cache sans doute le rayon de soleil qui m'a donné la vie.»
Hélia reçut de la montagne une embarcation, créée par ses enfants, les hommes.
«Va. Et ne regarde jamais derrière.
- Pourquoi m'incites-tu à partir? Ne m'aimes-tu donc pas?
- Si je ne t'aimais pas, je te garderais cloîtrée ici. Pars, mais ne me regarde pas.»
La fille de l'iceberg prit place dans le bateau et quitta pour l'horizon. Pour la première fois depuis longtemps, le rocher pleura. Des fleuves jaillirent de ses interstices. L'eau circulait si fort qu'elle éroda la surface de pierre. Lorsque la barque disparut du champ de vision de la montagne, la terre trembla et se sépara, emportant les hommes aux quatre coins de l'océan.
Hélia mit près d'un siècle pour se rendre sur les eaux glaciales de la fin du monde. De son bateau, elle vit plusieurs glaciers à la dérive. Le morceau de glace qu'était devenu son coeur s'anima et elle salua les frères de son père, qui lui répondirent. La rumeur s'était propagée parmi les icebergs. Un des leurs avait mis au monde une jeune fille aux cheveux de feux et à la peau de glace. Tous les glaçons géants qui croisèrent Hélia furent surpris de voir que la légende était donc vraie.
«Où vas-tu?» lui demandaient-ils tous. «Au bout du monde!» Elle avait la conviction qu'elle retrouverait le rayon de soleil qui avait aimé son père là où la mer se jetait dans les étoiles. Devant tant de beauté, tous les glaciers, sans exception, décidèrent de suivre la barque, dans l'espoir de trouver, eux aussi, un rayon de soleil qui pourrait les couvrir d'amour.
Ils arrivèrent tous, au bout de l'océan. Derrière le bateau, c'était maintenant une gigantesque montagne translucide qui se mouvait lentement. Mais, à la vue de l'univers, la masse de glace s'arrêta, effrayée. Hélia, toutefois, n'en tint pas compte et continua d'avancer vers les étoiles. Elle se retourna et fit de grands signes à ses oncles. Tout ce qu'ils purent voir d'elle, c'étaient ses yeux, deux diamants qui irradiaient dans la noirceur.
Hélia s'aperçut que les glaciers avaient cessé d'avancer.
«Attendez-moi ici! Je reviendrai!» leur cria-t-elle. Elle se retourna vers la fin du monde et plongea de son bateau. Elle nagea jusqu'à la chute et se laissa tomber parmi les étoiles pour disparaître dans l'infini, ses deux yeux brillants devenant les premières étoiles filantes dans le ciel.
Le poids de l'armée de glace, qui ne bougea jamais de son emplacement, fit courber la mer, à un point tel qu'elle se replia sur elle-même. Au bout de quelques siècles, l'océan était devenue une sphère parfaite sur laquelle dérivait des parcelles de la montagne brisée et quelques icebergs fatigués d'attendre. Ce sont ces glaciers errants qui dirent au rocher démantelé ce qu'était devenue Hélia, soit deux points scintillants dans le ciel de la nuit. C'est ainsi que les chaînes des montagnes s'élevèrent, afin de permettre aux étoiles filantes de s'agripper à leurs cimes, si l'envie leur prenait.
Aujourd'hui encore, la terre s'étend, discrètement, pour recueillir les parcelles d'un amour qu'elle aura entretenu, sans rien attendre en retour. Et grâce à la calotte glaciaire, plus jamais personne n'aura peur de sombrer au bout du monde.
dimanche 11 avril 2010
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Oh! Mathieu!
RépondreSupprimerQue j'aime cette histoire! J'ai été captivée, du début à la fin. Tu as trouvé de belles phrases pour exprimer de magnifiques images.
Je ne peux naturellement pas m'empêcher de penser qu'ici ou là, tu aurais un tout petit travail de reformulation à faire, mais minime, vraiment.
Je vais commencer ma journée avec cette légende en tête.
Merci :)