'You know we're going back to MANderley,
We're gonna dance on the SANderley,
I'm gonna sing with the BANderley,
We gonna ball all we CANderley —
Ball me, baby, yeah!'
Bag of bones - Stephen King
Tu t'es endormi, Lukas. J'aurais pu te tenir réveillé, mais cela faisait trop longtemps que tu t'épuisais à veiller avec moi. Ta tête déposée sur mon sein, tu respires de tout ton petit corps. En temps normal, j'aurais été rassurée par ta respiration. Chacun de tes souffles, comme un baume. Mais, j'ai peur, Lukas.
Combien de temps s'est écoulé, depuis que je me suis effondrée sur ce trottoir? Combien d'inspirations se sont insinuées en toi, depuis que je suis accotée à ce mur, vieux comme la ville? Combien de larmes m'ont quittées, pour rejoindre le pavé, ou ta peau? Combien de gens sont passés, sans jamais s'arrêter, sans même nous jeter un coup d'oeil?
Si je savais où nous étions, Lukas, si je savais...
Ici, rien ne m'est familier. Les visages, les rues, les façades, les trottoirs... et si je criais? Peut-être que quelqu'un s'arrêterait? Peut-être que quelqu'un me regarderait? Peut-être que quelqu'un m'entendrait?
C'est à mon tour d'inspirer. Le plus longtemps possible. Je ferme les yeux et j'expulse le tout. Un grand cri de détresse. De panique. Peu importe. Un grand cri. Et toutes les larmes qui n'avaient pas encore coulées glissent le long de mes joues.
Ils ne semblent pas m'entendre. Ils continuent tous de passer, sans faire attention à nous. Je voudrais me lever, m'emporter contre ces égoïstes. Mais je n'ai plus de forces. Ce qu'il me reste, je le ménage pour me cramponner à toi. Pour ne pas qu'on t'arrache à moi. Et que je me retrouve seule.
Seule, comme lorsqu'ils sont venus.
Ils sont entrés chez moi. Ils m'ont forcé à t'abandonner. Et ils sont partis. Avec toi, qui me regardais, sans comprendre. Pleurant à chaudes larmes.
Et je les regardais partir, dans l'embrasure de la porte, qu'ils n'avaient même pas pris soin de fermer. Mon coeur brisé de mère indigne vautré dans la cuisine du HLM.
J'ai froid, Lukas. Et toi, tu dors toujours. Même sans tes souliers.
Tes souliers que je t'avais achetés. Deux jours avant qu'ils ne viennent. Ils étaient bleus et rouges, tes couleurs préférées. Ils n'ont même pas pris la peine de te les mettre au pied, avant de partir. Ils se sont enfuis, par peur que je leur fasse une crise épouvantable.
Les gens continuent de passer. Je ne suis qu'une sans-abri, à leurs yeux. Une sans-abri qui a sûrement été engrossée par on-ne-sait-quel bienfaiteur avide de reconnaissances. Et qui se sert de son trophée de chasse comme outil de quête.
Mais je ne suis pas une mauvaise mère.
«Je t'aime trop, Lukas. Je t'aime trop pour te laisser partir.» Et ils m'ont donné une chance de te revoir. Deux jours. Du vendredi à 4 heures de l'après-midi jusqu'à dimanche, à la même heure. Ils sont venus te porter. Ils m'ont regardé, pendant de longues secondes. Et t'ont finalement laissé avec moi pour deux petits jours.
De plus en plus de passants marchent sur le trottoir, tout près de nous. L'un d'entre eux a la tête tournée dans notre direction. Mais il regarde furtivement le mur, couvert de graffitis. Je m'essuie du bout des doigts une autre larme, restants de colère, de tristesse et de désespoir.
J'ai fait couler un bain. Pas trop froid, ni trop chaud. À la température idéale pour un petit garçon de 3 ans. Une bonne mère, jusque dans les moindres détails. Et pendant que je te lavais, j'ai pensé : « Et si...»
Sous ma main, je peux sentir la peau de ton visage se refroidir. L'air commence à m'insensibiliser. Je ne sens plus ta courte respiration, ni le poids sur mon sein. Comment nous ais-je amenés ici, dans cet endroit inconnu, où personne ne peut nous voir?
J'ai ouvert la pharmacie, la main tremblante. «Où sont mes comprimés? Où sont-ils? Juste là.» Le pot était sur la tablette du haut, juste à côté du sirop pour la toux et des aspirines. «Rivotril. Pas plus de 6 comprimés par jour.» Je pensais à voix haute, comme si je cherchais à rassurer quelqu'un. Mais il n'y avait que moi. Les mains mouillées. Assassines.
Assise dans la cuisine, les yeux posés sur la porte de la salle de bain, j'attendais le sommeil venir. Devant moi, un pot de plastique vide et une bouteille de whisky bien entamée. Pendant que mes paupières se fermaient, j'ai pensé :
«Ils ne nous sépareront plus.» Ma voix éteinte résonne dans mes oreilles. Comme si elle venait de très loin. Je regarde une dernière fois les passants. Il y en a un qui nous regarde, une esquisse de sourire sur son visage blanc.
Il a fait tout noir.
Puis, plus rien.
lundi 13 avril 2009
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Non mais c'est vraiment trop triste! :(
RépondreSupprimerT'as beaucoup de talents Mathieu,
RépondreSupprimerparce que je ne suis pas fan de nouvelles littéraires, car trop souvent la fin me déçoit.
Mais les tiennes, je les adore!!
J'attend avec impatience entre chaque post, pour venir me dégourdir et lire un brin de bonne littérature.
Bravissimo m'sieur pour ton talent