mercredi 22 avril 2009

Je laisserai mon coeur voler outre-mer. Puis, marcher dans le mile-end. Et s'ouvrir au monde.

Et je resterai sur D'Youville, à attendre que l'auto-car étire le temps. Je prendrai racine comme un saule, à l'orée du parc des Braves. Et je regarderai la basse-ville s'allumer, s'éteindre, devenir métalepse, au gré du temps.

Une larme exiguë dans son champ de Mars, ou d'Élysées. Sur mon terroir dévasté.

Un marron tombera de mes branches. Et je voudrai l'automne pour moi seul.

dimanche 19 avril 2009

Deux jours Révisé.

Deux jours. Ça fait deux jours qu'il pleut. Sans cesse, comme si le ciel avait un trop plein de tristesse et que quelqu'un l'avait crevé. Ça me fait tellement chier, ça n'a pas de bon sens. Je suis assise, à regarder par la fenêtre, une fois de temps à autres, en espérant te voir arriver. Mais c'est con, parce que tu ne reviendras pas. T'es parti, comme ça, sans rien me dire avant. Pas parce que j'étais horrible. Pas parce que tu ne m'aimais plus. Parce que t'es mort.

Deux jours complets à écouter du Simon & Garfunkel, parce que tu aimais ça, surtout quand il fait comme aujourd'hui. Un temps triste et mouillé. Parce que cette musique là donnait un petit quelque chose au temps triste et mouillé. Tu m'as jamais dit pourquoi. J'ai jamais cherché à savoir. Pour moi, c'étaient des souvenirs de jeunesse. Mon père qui mettait ça dans le tourne-disque. Et qui faisait tourner ma mère un petit peu.

«And here's to you, Mrs. Robinson, Jesus loves you more than you will know...»

Et quand tu mettais tes disques de Simon & Garfunkel, je souriais. Et je regardais dehors. C'était comme aujourd'hui. De la pluie, des nuages. Et des notes de guitare. Mais tu étais là. Et tu chantais. Simon, Garfunkel & Carrier. Aujourd'hui, et depuis deux jours, c'est Simon & Garfunkel, le trio amputé. Et moi qui les écoute.

Deux jours que je suis assise, à regarder le temps qui s'égraine et à appuyer sur Play quand le lecteur cinq disques arrête de jouer. J'ai bien essayé de mettre autre chose. Impossible. La température exige du Simon & Garfunkel. Comme tu l'aurais exigé.

Demain, ta famille va arriver. Ta mère va m'obliger à arrêter le lecteur CD. Ton père ne dira pas un mot. Ton frère va se foutre de cette décision. Ta soeur va pleurer. Comme elle l'a toujours fait. L'enterrement d'un oncle éloigné, un verre de trop au nouvel an, un chaton écrasé sur le bord d'une autoroute... Une machine à pleurs. Et quand elle va fermer ses valves, ce sera pour gémir d'arrêter la musique. Et aussitôt qu'elle aura fini sa phrase, son stock de larmes fraîchement renouvelé continuera de se déverser.

Et je n'aurai pas le choix. Même si je suis chez moi.

Elle me fait chier ta famille. Autant que cette pluie. Autant que ton vieux haut-parleur qui commence à produire des craquements anormaux. Quasiment autant que ta mort.

Ça fait deux jours que je n'ai pas ouvert la télévision. Par peur de voir un reportage sur toi. Ou pire encore, voir ton nom relégué aux nouvelles défilantes de LCN. Comme un vulgaire fait divers. Et je ne veux plus entendre parler de toi. Ça me vire trop à l'envers.

Le téléphone sonne. Je ne réponds plus. La dernière fois, c'était ton éditeur. « Bonjour. Mes condoléances. Si jamais on peut faire quoi que ce soit... Et où était donc rendu Marc dans son manuscrit?» Je crois que c'est là que j'ai raccroché. Et que j'ai arrêté de répondre au téléphone.

T'avais commencé un nouveau livre, sans m'en glisser un seul mot. Et Harold me demandait où tu en étais rendu. Comme si je savais. Si je lui avais répondu que je n'étais pas au courant, peut-être m'aurait-il demandé de regarder. Et j'aurais vu sur l'écran de ton Mac les derniers mots que tu as légués à l'immortalité de ton disque dur.

Deux jours à me demander ce qui t'a passé par la tête. Et un à me demander pourquoi tu ne m'as pas parlé de ton dernier projet. Comme tu l'as toujours fait. En ouvrant une bouteille de vin et en disant : «Un autre best-seller qui germe.»

Le téléphone sonne encore. J'abandonne. J'étire mon bras et attrape le sans-fil, sur la table du salon. Ta mère, qui m'avertit que tes oncles arriveront après-demain, pour la mise en terre. Et ta soeur, à l'arrière, qui pousse un long gémissement. Et qui pleure sûrement toutes les larmes de son corps. Et pendant que ta mère parle, j'écoute d'une oreille attentive la musique.

«Ask me and I will play, all the love that I hold inside.»

Je raccroche. Et je fixe le téléphone. Dans ma tête, j'entends ta soeur gémir. En écho. Harold qui me demande l'état de ton manuscrit. Ta mère qui me dit : «Si seulement tu avais été plus à son écoute, peut-être qu'on en serait pas là aujourd'hui.» Tous en même temps. Avec, en arrière-fond, Simon & Garfunkel. Pour les temps tristes et mouillés.

La musique s'est tue. Je me lève et appuie sur Play. Et ça recommence. La routine musicale s'est installée. Je sais déjà qu'après You can tell the world, c'est Last night I had the strangest dream que je vais entendre. Puis, Bleecker Street.

Deux jours que je reste assise dans le salon. Que je ne me lève que pour l'essentiel. Mais la majeure partie du temps, je suis là, assise sur mon fauteuil bien trop grand pour moi toute seule. Toujours trop grand. Comme tout ce qui m'entoure. Deux jours à apprivoiser le vide. À le combler de musique. À penser à tout ce que je peux penser.

Le téléphone sonne encore. Une fois. Deux fois. Trois fois. Je ne réponds pas. C'est peut-être ta mère, qui veut m'accuser sournoisement, encore et encore. Peut-être Harold, qui veut savoir si tu ne caches pas un manuscrit caché pour publier un livre posthume. Parce que la mort, ça paie. Peut-être ma soeur, qui ne m'a pas contacté depuis déjà trois ans.

Je suis rendue au deuxième CD sur cinq. Je l'aime bien, celui-là. Il y a des mots qui me font penser à toi.

«I know it's not right to leave you when morning is just a few hours away.»

T'es parti, comme ça. Tu t'es levé, avant moi, et t'as pris la voiture. Pour ne jamais revenir. Avant même que le téléphone ne sonne, vers huit heures, je savais que quelque chose s'était passé. Ça m'a réveillée. Comme un sixième sens.

Le téléphone sonne une fois. Deux fois. Trois fois. Plein de fois. Il ne s'arrête pas. Je réponds.

«Bonjour Madame! Nous vous appelons pour savoir si vous étiez intéressée à recevoir le Journal du Québec à votre domicile, et ce, à chaque jour?»

Et au lieu de répondre un non poli, j'hurle. J'hurle comme c'est pas permis. Je veux lui défoncer le tympan, à cette standardiste-vendeuse-peu m'importe. Je ne suis plus une femme, je suis un klaxon, une sirène. Je suis Le cri, de Munch. Et j'étouffe ma rage dans un sanglot. Je n'entends plus rien au téléphone. La tonalité revient. Et je pleure.

Deux jours que je n'avais pas pleuré. Pas une larme. Et maintenant, je suis intarissable. Comme ta soeur. Un festival d'émotivité. Je n'entends même plus Simon & Garfunkel. Je dois bien être rendue au troisième CD. Ou alors le quatrième. Je me retiens, juste un peu, et j'entends : «Preserve your memories, they're all that's left you.» S'il est possible de se noyer dans ses larmes, je crois que je ne suis pas loin.

Le cinquième CD se termine. Au lieu de recommencer le cycle musical, je quitte le salon. Et je monte au premier étage. Deux jours que je n'y suis pas allée. Je suis devant la porte fermée de notre chambre. Ma chambre, maintenant. Un peu plus loin, il y a ton bureau. Mais je ne peux pas y aller. Pas maintenant. Je te verrais partout. Je te sentirais partout. Et je pourrais presque t'entendre cliqueter tes doigts sur ton clavier d'aluminium. Devant ton écran Apple. Et j'en deviendrais folle. Si je ne le suis pas déjà.

La chambre sent le renfermé. Les rideaux sont tirés. Et il fait noir. Mais malgré ça, les lattes de bois de Colombie rouge bourgogne se font voir à travers la pénombre. La couleur sombre du sang. Notre lit est exactement comme je l'ai laissé, ce matin-là. Draps défaits, oreillers fripés. J'allume la lumière et m'avance vers le placard. En dedans, notre boîte à souvenirs. Coffre aux trésors remplis de photos.

Deux jours que je m'empêche de l'ouvrir. D'accepter son existence. Que je la renie en écoutant ta musique. Et là, elle est ouverte, sur le lit, le couvercle traînant par terre. Et moi, couchée à plat ventre sur le lit, appuyée sur mes coudes. La couette sous moi, en boule, comme pour me protéger du confort du matelas. J'ai dans les mains quelques photos de toi, de moi. Et de nous.

Moi, en bikini, sur une plage quelconque de la Floride. Toi, en train de peinturer le salon. Moi, en train de lire ton premier roman. Toi, qui écrit ton deuxième, ou ton troisième livre. Moi, qui pointe un troupeau de bœufs dans le champ. Toi, qui regarde au loin, le soleil se couchant sur le grand lac Saint-François, en arrière-plan. Mon coeur qui s'excite, se tord. Moi, qui jette la photo par terre. Qui recommence à pleurer. Qui m'étouffe avec mes gémissements. Qui prend la lampe de chevet et la balance contre la penderie. Qui renverse la boîte de souvenirs en criant. Qui s'écroule, acculée au mur de lattes. Perdue entre les photos d'un autre temps et le vide de ma chambre.

Je pleure, comme une petite fille. En marmonnant «Pourquoi?» entre deux coulées de larmes. Sans attendre de réponses. Parce que personne ne peut m'en donner. Sauf toi.

C'est le silence. Lourd et pénible. Et ça me donne mal au coeur. Je penche la tête et je vomis. Tout ce que je n'ai pas pleuré, en flaques, parmi les photos. Photos de toi. Et de moi. Avec la famille. Moi seule. Bien habillée. Des fois, pas du tout.

Je retourne au rez-de-chaussée. Je n'ai qu'une idée : retourner au trop grand divan. La pluie martèle encore les fenêtres. Je pense à ta mère qui va débarquer avec son escadron et qui va s'imposer plus que jamais. Parce qu'elle ne me croit pas capable d'organiser les funérailles. Parce qu'elle me croit responsable de ta mort. Comme si je t'avais poussé à partir ce matin-là. Comme si je t'avais vissé l'arme à la main. Comme si c'était moi qui avais appuyé sur la détente devant ces gens innocents. Comme si j'avais lentement retourné l'arme contre ta tempe. Comme si....

Le téléphone sonne. Je l'écoute me fendre le crâne en plusieurs morceaux. Un sans-fil traîne sur le comptoir à côté de moi. Il me résonne dans la tête, comme les pleurs de ta soeur, les paroles d'Harold et la voix de ta mère. Et cette standardiste trop heureuse de faire son travail. Je le prends, et au lieu de répondre, je le fracasse sur le sol, avec toute la force que j'ai. J'entends celui du salon sonner faiblement. Puis, plus rien.

Deux jours à me demander pourquoi t'as fait ça. À te chercher dans ta musique. Dans le salon trop grand. Sur le divan trop grand. À refuser l'existence de nos souvenirs. Et de ton dernier manuscrit. À écouter la pluie s'abattre sur East Broughton, campagne monotone en périphérie de Thetford Mines.

Et là, à ce moment précis, je veux avoir des réponses. Je tourne les talons et remonte au premier. Je dépasse la chambre et pose une main sur la poignée de la porte de ton bureau. J'ai le coeur qui bat trop vite. Je vais être malade, encore. Je ferme les yeux. Et je respire. Une fois. Deux fois. Trois fois. Comme le téléphone. Et je tourne la poignée.

Tout est en ordre. Ton immense bibliothèque ne doit contenir que le quart de tes livres. Les autres doivent être rangés au sous-sol, dans des boîtes. Et sur le long du mur, ton ordinateur. Un iMac récent de deux années. Acheté avec une partie des droits d'auteurs de ton deuxième roman.

Je n'ose pas m'asseoir. De peur de prendre ta place. Je bouge la souris, et l'écran s'illumine. Tu n'aimais pas perdre ton temps à attendre que l'ordinateur s'ouvre. Devant mes yeux, j'ai le traitement de texte ouvert sur ce qui semble être tes dernières lignes. Tes dernières confidences écrites en ce monde. En tout, ce sont quarante pages qui s'offrent à moi. J'ai envie de rire, en pensant à Harold qui n'étancherait pas sa soif d'argent avec les quarante premières pages d'un livre qui resterait inachevé.

Je parcours en diagonale ton texte, sans trop m'attarder aux détails. Rien d'extraordinaire. Du moins, rien qui puisse m'indiquer ce qui t'a poussé à tuer cinq personnes par un matin pluvieux, pour ensuite t'enlever la vie. Au lieu de tout simplement te faire à déjeuner et écouter du Simon & Garfunkel. Comme je le fais depuis deux jours.

Je ne trouve rien, jusqu'à la dernière ligne du texte, qui semble casser le rythme. En caractère italique. Comme un message que tu aurais voulu me laisser.

Ils sont en train de m'avoir. Ils sont en train de m'avoir. Ils sont en train de m'avoir.

Et pendant que je fixe ces mots, mes mains se posent sur le clavier. Contre ma volonté. Et mes doigts deviennent agiles et cliquètent comme les tiens, dans un moment d'inspiration. Sauf que moi, je ne sais pas ce que j'écris.

Pars au plus vite. Ils sont là, à t'attendre.

***

Deux jours. Ça fait deux jours qu'il pleut. Deux jours que je suis assise, à écouter de la musique. Ta musique. Et à regarder dehors, espérant ton retour. Mais c'est con. Parce que tu ne reviendras pas. Jamais. T'es parti, comme ça, sans rien dire à personne. En emmenant cinq inconnus avec toi. Pas parce que t'étais méchant. Mais parce qu'ils t'ont eu.

Quelques heures déjà à me demander pourquoi tu ne m'as rien dit. À me demander qui ils sont. À empirer ma folie de ne pas comprendre la tienne. Quelques heures à me demander ce qu'il va m'arriver, si la musique s'arrête.

mercredi 15 avril 2009

Étendre du sel sur tes paupières. Et attendre que tes congères opaques se percent de lumières. Attendre que ton regard de glace se liquéfie. Permettre à tes yeux d'éponger ma solitude.

Mes doigts s'effilochent. Au contact de ta peau.

J'ai perdu le pôle.

lundi 13 avril 2009

Dernier atelier d'Activité Créatrice (Fin révisée)

'You know we're going back to MANderley,
We're gonna dance on the SANderley,
I'm gonna sing with the BANderley,
We gonna ball all we CANderley —
Ball me, baby, yeah!'

Bag of bones - Stephen King

Tu t'es endormi, Lukas. J'aurais pu te tenir réveillé, mais cela faisait trop longtemps que tu t'épuisais à veiller avec moi. Ta tête déposée sur mon sein, tu respires de tout ton petit corps. En temps normal, j'aurais été rassurée par ta respiration. Chacun de tes souffles, comme un baume. Mais, j'ai peur, Lukas.

Combien de temps s'est écoulé, depuis que je me suis effondrée sur ce trottoir? Combien d'inspirations se sont insinuées en toi, depuis que je suis accotée à ce mur, vieux comme la ville? Combien de larmes m'ont quittées, pour rejoindre le pavé, ou ta peau? Combien de gens sont passés, sans jamais s'arrêter, sans même nous jeter un coup d'oeil?

Si je savais où nous étions, Lukas, si je savais...

Ici, rien ne m'est familier. Les visages, les rues, les façades, les trottoirs... et si je criais? Peut-être que quelqu'un s'arrêterait? Peut-être que quelqu'un me regarderait? Peut-être que quelqu'un m'entendrait?

C'est à mon tour d'inspirer. Le plus longtemps possible. Je ferme les yeux et j'expulse le tout. Un grand cri de détresse. De panique. Peu importe. Un grand cri. Et toutes les larmes qui n'avaient pas encore coulées glissent le long de mes joues.

Ils ne semblent pas m'entendre. Ils continuent tous de passer, sans faire attention à nous. Je voudrais me lever, m'emporter contre ces égoïstes. Mais je n'ai plus de forces. Ce qu'il me reste, je le ménage pour me cramponner à toi. Pour ne pas qu'on t'arrache à moi. Et que je me retrouve seule.

Seule, comme lorsqu'ils sont venus.

Ils sont entrés chez moi. Ils m'ont forcé à t'abandonner. Et ils sont partis. Avec toi, qui me regardais, sans comprendre. Pleurant à chaudes larmes.

Et je les regardais partir, dans l'embrasure de la porte, qu'ils n'avaient même pas pris soin de fermer. Mon coeur brisé de mère indigne vautré dans la cuisine du HLM.

J'ai froid, Lukas. Et toi, tu dors toujours. Même sans tes souliers.

Tes souliers que je t'avais achetés. Deux jours avant qu'ils ne viennent. Ils étaient bleus et rouges, tes couleurs préférées. Ils n'ont même pas pris la peine de te les mettre au pied, avant de partir. Ils se sont enfuis, par peur que je leur fasse une crise épouvantable.

Les gens continuent de passer. Je ne suis qu'une sans-abri, à leurs yeux. Une sans-abri qui a sûrement été engrossée par on-ne-sait-quel bienfaiteur avide de reconnaissances. Et qui se sert de son trophée de chasse comme outil de quête.

Mais je ne suis pas une mauvaise mère.

«Je t'aime trop, Lukas. Je t'aime trop pour te laisser partir.» Et ils m'ont donné une chance de te revoir. Deux jours. Du vendredi à 4 heures de l'après-midi jusqu'à dimanche, à la même heure. Ils sont venus te porter. Ils m'ont regardé, pendant de longues secondes. Et t'ont finalement laissé avec moi pour deux petits jours.

De plus en plus de passants marchent sur le trottoir, tout près de nous. L'un d'entre eux a la tête tournée dans notre direction. Mais il regarde furtivement le mur, couvert de graffitis. Je m'essuie du bout des doigts une autre larme, restants de colère, de tristesse et de désespoir.

J'ai fait couler un bain. Pas trop froid, ni trop chaud. À la température idéale pour un petit garçon de 3 ans. Une bonne mère, jusque dans les moindres détails. Et pendant que je te lavais, j'ai pensé : « Et si...»

Sous ma main, je peux sentir la peau de ton visage se refroidir. L'air commence à m'insensibiliser. Je ne sens plus ta courte respiration, ni le poids sur mon sein. Comment nous ais-je amenés ici, dans cet endroit inconnu, où personne ne peut nous voir?

J'ai ouvert la pharmacie, la main tremblante. «Où sont mes comprimés? Où sont-ils? Juste là.» Le pot était sur la tablette du haut, juste à côté du sirop pour la toux et des aspirines. «Rivotril. Pas plus de 6 comprimés par jour.» Je pensais à voix haute, comme si je cherchais à rassurer quelqu'un. Mais il n'y avait que moi. Les mains mouillées. Assassines.

Assise dans la cuisine, les yeux posés sur la porte de la salle de bain, j'attendais le sommeil venir. Devant moi, un pot de plastique vide et une bouteille de whisky bien entamée. Pendant que mes paupières se fermaient, j'ai pensé :

«Ils ne nous sépareront plus.» Ma voix éteinte résonne dans mes oreilles. Comme si elle venait de très loin. Je regarde une dernière fois les passants. Il y en a un qui nous regarde, une esquisse de sourire sur son visage blanc.

Il a fait tout noir.

Puis, plus rien.

mercredi 8 avril 2009

Pastiche Jack Kerouac Blues

En ce temps-là les mémoires s'étendaient plus loin que la ligne d'horizon
chaque colline d'amiante expurgée de sa semence trônant à l'orée du monde
je cherchais mon avenir sur les restants poudreux des mines d'autrefois
Thetford mourait comme une chandelle face à l'orage
entre les filaments désuets et l'entêtement d'une foule

le Québec m'ouvrait ses bras, grands comme des rêves d'enfant
les promesses s'entassaient en moi sardines de bonheur
terre d'Amérique aux milles désirs et aux milles six envies
elle s'éveillait dans le lit du fleuve et les crissements du caoutchouc
avec Pontbriand qui époumonait l'ontologie
Bissoondath qui usait de schizogénie
pendant que je me brûlais le bout des doigts
avec l'espoir de coller le rêve sur papier à l'aide de mes mains littéraires et de mes pensées léthargiques

and somewhere Thetford was dying like a candle against the storm

je chevauchais le présent
entre un passé lunaire et un avenir sans ombre
et Thetford se mourait comme une chandelle face à l'orage
mon passé me surpassait sans jamais m'embarquer
j'étais là face à rien étouffés de promesses
et je cherchais du bout des doigts les mêmes que je brûlais
des réponses en référence
des questions entre les lignes
oubliant mes racines qui s'asséchaient
plus meurtries que la peau de mes mains
brûlée par des mots qui n'étaient pas les miens

and somewhere Thetford was dying like a candle against the storm

mineurs usés comme l'escarpement d'un ravin tri-centenaire et abîmés comme le pavé d'un village défiguré
mines accrochées jusqu'au Jugement Dernier comme un dernier espoir une crise de folie
tous ramassent ses miettes dans l'espoir de la recoller casse-tête dépecé
tous s'harcèlent à savoir qui partira le premier
et je quittai pensant rebrousser pour mieux me retrouver

and somewhere Thetford was dying like a candle against the storm

toutes les prières prononcées à une image morcelée transfigurée Dieu
cachaient la plaie jamais recousue d'un échec et mat
and somewhere in Quebec I was burning my fingers
les mots s'envolaient emportant des pages et des pages de rêves
pas les miens ni les leurs
un papier partait au vent une étoile irradiait crevant mes yeux de lumière diffuse
et j'oscillais métronome littéraire tapant des rythmes de phrases contigües incongrues décousues
une aiguille et du fil crayon et talent et j'entendais
Cotnoir épeler mon passé conseiller mon présent étouffer mon avenir
devant mon ordinateur épitaphe moderne et je mourais un peu plus
entre les filaments lettrés et l'entêtement archaïque vérité littéraire

and somewhere in me Thetford was dying while I was catching dreams

et pendant que mes racines s'enflammaient
je ne voyais plus le jour s'accrocher à moi
que des idées chemins d'amiante qui s'effritent sous le passage
l'horloge au mur aurait crié si horloge au mur il y avait
et j'ai trébuché une phrase de trop qui s'est emmêlée dans les mots de mes souliers

and somewhere in me I was dying like a sun in the snow

et au lieu de repartir sans rien dans les poches
j'ai écrit mon nom du bout de mes doigts calcinés
et sans pleurer j'ai éteint la chandelle atrophiée
j'ai regardé l'épitaphe de mes soirées qui irradiait d'étoiles
j'ai rythmé un rêve qui sonnait comme une réalité

lundi 6 avril 2009

Essai

Je m'appelle Mathieu. Comme à peu près 3500 autres garçons de ma génération à travers la francophonie occidentale. Bon j'exagère sûrement, mais quoi qu'il en soit, le fait est là : mon nom est un nom commun. Moins commun que table, chaise, paragraphe, il va sans dire. J'ai tout de même un nom propre. Mais j'ai ce qu'on appelle un nom commun de noms propres.

Rares sont les fois où, dans mes classes, il n'y avait pas d'autre Mathieu. Et rares sont les fois où je n'étais pas assis proche de ces usurpateurs. À moi de faire le saut quand le professeur prononçait mon nom pendant que je faisais tout sauf écouter. Et de me rendre compte que c'était à mon voisin que la question était adressée.

En fait, je m'appelle Mathieu, mais c'est un accident. Ma mère tenait absolument à m'appeler Matthew (prononcé Ma-tsi-ou). Sans doute la mode d'appeler ses enfants par un nom anglais alors qu'on ne parle pas du tout anglais. Je pense à Steeven, Nancy, William, Bobby, Jane, Megan, etc, etc. Bref, Matthew. À ma naissance, c'était mon nom officiel. Mais grâce aux infirmières qui étaient incapables de saisir toute la subtilité de la chose - et persistaient de m'appeler Mathieu, malgré l'énervement de ma mère -, ma mère abdiqua et me donna mon nom actuel. Un T, pas de fioritures rien. Comme à peu près beaucoup trop de gens (Googlez mon nom, vous obtiendrez 20 600 000 résultats. Char-mant.).

Tout le monde avait une histoire quant à l'origine de leur nom. Nom de grand-père, de grand-mère, d'ami lointain, disparu, ou tout simplement mort, etc. Même ma soeur, de trois ans ma cadette, a hérité du nom d'une vieille chanson atroce de The Police. Moi, mon nom ne vient de nulle part. Oh, bien sûr, j'aurais pu me créer cette origine, dire que mon nom vient de l'apôtre Matthieu ou de l'évangéliste (car on sait tous que ce n'est pas la même personne), mais alors, les gens m'auraient dit : «Pourquoi un seul T, alors?» Et j'aurais bredouillé n'importe quoi comme :«Euh bah... pour faire plus simple, j'imagine?»

Mes parents, en m'appelant ainsi, n'ont pas pensé à l'agacement que les diverses sonorités de mon nom pouvaient créer. Pour le Ma, aucun problème. C'est doux, ça coule et ce n'est pas très agressif. Là où ça se corse, c'est dans le thi. Ce n'est pas un t clair qui est prononcé, mais un t sifflé. tssssi. TSSSS. Bon j'exagère, mais vous comprenez le principe. Répétez cette phonème plusieurs fois dans l'oreille de quelqu'un et constatez à quel point votre victime sera agacée. Plusieurs diront qu'il n'y a rien là, que l'on prononce habituellement cette syllabe infernale rapidement, l'escamotant presque. Mais c'est qu'ils ne réaliseront pas que ces deux horribles lettres (th) sont surmontées de ieu. YEU. La liaison coule, sans problèmes. Mais c'est le eu. Quel son carré, peu mélodieux qui agressent sûrement ceux qui doivent les entendre toute la journée. Surtout lorsque le destinataire appuie et élance la syllabe, la laissant mourir dans l'air, avec une petite ascension. «Mathieeeeeeuuuu?»

Mais j'ai beau voir beaucoup de désavantages à m'appeler Mathieu, j'aime bien que l'on m'appelle par mon nom plutôt qu'un autre. Combien de fois les gens se sont-ils tromper? Plus souvent qu'autre chose, je me suis appeler Maxime. Ou Olivier. Ou Stéphane. Ou même François. « Excuse-moi! Mais t'as tellement une face à t'appeler de même.» C'est drôle, mais je ne comprends pas. Je comprends encore moins les parents qui, devant leur bébé naissant, décident de changer le nom quil voulait y donner, parce qu'il a la face d'un autre nom. « Appelons-là Nancy, car elle a tellement une face de Nancy. En tout cas, plus que Maryse.»
Bref. Tout ça pour dire que je m'appelle Mathieu.

dimanche 5 avril 2009

Tout

J'ai la mémoire du temps qui perle au coin de mes yeux. Larme blanche qui transperce. Mon dos. Mes pensées.

Érotisme retravaillé

And I am not frightened of dying, any time will do, I don't mind. Why should I be frightened of dying? There's no reason for it, you've gotta go sometime. [...] I never said I was frightened of dying.
The Great Gig In The Sky, Pink Floyd

Simon faisait glisser sa main le long du visage rond de Jessie, ou Fanny, il n'en était pas certain. Quel âge faisait-elle, couchée là, ses cheveux roux sur l'oreiller, contrastant avec la blancheur de sa peau nue? Sûrement pas plus de 25 ans. De temps à autres, elle poussait un petit gémissement, ce qui excitait Simon encore plus. D'un geste lent et attentionné, il laissa glisser ses doigts le long de son cou, jusqu'à sa poitrine. Il effleura son mamelon durci, pointant vers le ciel. Il se cache le visage dans son cou et y déposa plusieurs baisers. Sa main quitta le petit sein confortable et s'aventura jusqu'au bas-ventre, où elle se posa à plat, pour y sentir la fraîcheur de sa peau. La jeune femme prenait de grandes respirations, sa poitrine suivant le rythme langoureux qui était instauré.

Simon prit appui sur son coude pour la regarder d'un autre point de vue. Les yeux clos, elle semblait paisible, comme si elle était en extase, ou en plein sommeil. Il baisa ses lèvres, sans s'attendre à ce qu'elle réponde. Une faible odeur d'alcool s'échappait de sa fine bouche à chaque expiration. Il ne manquait qu'une chose pour que ce moment soit parfait. Simon se retourna et prit la télécommande de son lecteur CD. Lorsqu'il appuya sur Play, la musique de Pink Floyd meubla le silence de la maison plongée dans l'obscurité. Pendant que Breathe jouait, Simon flattait les hanches de sa conquête, qui demeurait silencieuse et immobile. Juste à penser à ce qui s'en venait, Simon sentait son membre s'écraser sous son jeans, qui devenait de plus en plus serré.

«Pas tout de suite. Il faut faire durer le plaisir.», se dit-il.

Alors qu'il s'était blotti contre elle, il sentit bouger sa jambe. Pris d'un sursaut, il quitta le lit d'un bond et la regarda, effrayé. Un des liens lui retenant les pieds s'était défait. Le noeud avait été sans doute mal fixé au pied du lit. Simon rattacha la corde, en s'assurant qu'elle ne lâcherait pas encore.

Couchée là, elle donnait l'impression qu'elle savourait le moment. Ses cheveux qui encadraient son visage un peu rond, ses bras placés en croix qui ouvraient sa poitrine... Elles donnaient toutes cette impression là quand il les ramenait chez lui.

Simon pencha la tête devant ce spectacle qui l'étonnait encore à chaque fois. Mais ce soir-là, il avait brisé le moment. Il avait eu peur qu'elle se soit réveillée. Mais jamais ce n'était arrivé avant. Elles ne se réveillent jamais à ce moment là. Il s'avança lentement vers le lit, Time l'accompagnant dans sa lente marche. Il était maintenant debout, à côté du lit. Si près de cet ange roux, son pénis se gonfla d'excitation, dans l'appréhension de ce qu'il allait faire. Il se pencha pour sortir son sac de dessous du lit. En l'ouvrant, il leva la tête vers Jessie. Ou Fanny. Mais il préférait Jessie.

«Tu es vraiment mon genre de fille.»

Il déposa sa scie égoïne sur le lit, à côté de la jeune fille endormie.

«Vraiment.»

Sa gorge, nouée par l'excitation, avait étouffé la dernière syllabe. Il posa un baiser sur le front de Jessie. Puis, prenant une grande respiration, il reprit en main son outil. Dressée comme un phallus, la scie reflétait la lumière de la table de chevet. Simon réprima un petit tremblement de la main et posa les dents de la lame sur la cuisse de l'objet de son désir. Il attendait le moment pour commencer son mouvement de va et vient. Le disque changea de piste, et les premières mesures de The Great Gig In The Sky se firent entendre. Sous sa main libre, Simon sentait la peau douce de Jessie. Ses yeux étaient toujours fermés, dans son sommeil éthylique. Simon déplaça son regard vers la jambe qu'il avait empoignée d'une main ferme. La voix de Clare Torry s'éleva dans la chambre, et le premier coup de scie fut donné. Le corps de Jessie s'arc-bouta et une profonde plainte s'échappa de sa bouche. Simon releva la tête pour la voir s'éveiller. Les yeux grands ouverts, la bouche tordue, se débattant faiblement, elle était encore plus attirante. Simon continua de la dépecer, chacun des coups de scie provoquant chez Jessie des hurlements de plus en plus sinistres, que la voix de Torry ne parvenait pas à couvrir. Mieux encore, les deux voix se mêlaient langoureusement ensemble, dans un long duo morbide qui excitait de plus en plus Simon. Pendant quelques instants, Jessie cessa de crier et le regarda. Quelques larmes coulaient le long de sa joue. Puis sa tête s'échoua sur l'oreiller. Torry était maintenant seule à lancer sa voix au ciel. Simon respirait fort, comme s'il était d'une crise d'asthme. Mais il ne cessait pas son mouvement de va et vient. Au rythme de la musique. Celle-ci commençait à faiblir, annonçant la fin du morceau. Simon déposa sa scie sur le ventre de Jessie et retira son pantalon. Son énorme gland turgescent, rougi d'excitation, s'éleva à la hauteur de son nombril. D'une main, il poussa la jambe sciée en-dehors du lit. Il la regarda pendre au bout de la corde et sentit une chaleur lui monter de plus en plus dans les jambes. Il regarda le visage de la jeune fille inconsciente, pendant que les dernières notes de la chanson s'évanouissaient dans l'air, pour bientôt laisser place à Money. Il s'embarqua à califourchon sur la jambe restante, à la hauteur du genou. Il reprit sa scie, et pendant que les bruits de caisses enregistreuses mêlées aux guitares emplissaient ses oreilles, il sentait son plaisir s'intensifier de plus en plus.


Brain Damage jouait pendant que Simon pénétrait Jessie avec force. Il sentait la jouissance monter en lui, traverser son membre à chaque fois qu'il entrait en elle. L'odeur de sa sueur mêlée au sang lui faisait tourner la tête. Puis, de plus en plus, il sentait l'orgasme approcher. C'est vers le milieu d'Eclipse qu'il explosa, se vidant de son plaisir en elle. Tous ses muscles se contractèrent, pendant un instant, puis se relâchèrent. Il se laissa choir sur le corps qu'il avait mutilé, pour profiter une dernière fois de l'odeur sensuelle de la mort qui, une fois de plus imprégnait ses draps.

Le silence était revenu dans la maison lorsque Simon se décida enfin d'aller prendre une douche. Avant de sortir de la chambre, il se retourna vers le lit. Le tronc de Jessie baignait dans une mare de sang, ses membres sciés pendant chacun au bout de leur corde.

«Tu étais vraiment mon genre de fille.»

mercredi 1 avril 2009

Le fleuve 2e version

Je voudrais me fendre en quatre, là où le fleuve se sépare de la terre. Perdre pied et m'accrocher au littoral, pour ne sentir que la brise du silence. Je voudrais me fracasser aux rochers de tes idées, m'oublier, comme ça. M'arracher la rage du poitrail.

Verser une cascade de cris, un précipice de haine. Et une bruine de je t'aime. Je te sanglote, sur le bord d'un fleuve aux milles visages. Va-t-en aux quatre coins du monde. Propage-toi, comme une maladie. Et laisse-moi me greffer à la mer. Comme un glacier millénaire.

Déjà le sel m'abime les yeux. Les écumes se déferlent sur ma peau. Les vagues s'écrasent sur ma tête. Je voudrais m'éloigner du ciel pour toucher l'abysse. Me fusionner à l'estuaire. N'être plus qu'un embrun de larmes.

Ne me retiens pas. Même si tu n'as jamais essayé. Ne me regarde pas. Même si tu ne m'as jamais vu. Et laisse-moi quitter le métal. À travers l'air du temps.

Pour me mêler au fleuve.

Nombre total de pages vues